"Et le burin aussi c'est pour se curer les ongles ?"
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Chronique - La 23e Chambre du tribunal correctionnel de Paris vendredi. Huit comparutions immédiates, autant d'histoires.
Voici l'une d'entre elles.
Amélie GAUTIER - le 14/01/2008 - 15h47
L'ambassadeur de Russie en France n'est pas venu à sa rescousse lors de la garde à vue alors X a consenti à décliner son identité devant la cour : "Yevgeny, glisse-t-il à l'interprète. Né en janvier 1965 à Tchelabinsk." Comme son ami d'enfance Vladimir, à ses côtés dans le box des prévenus. Même faciès de boxeur, même air bourru, même regard sombre. Les deux compères comparaissent pour vols en réunion, principalement. "Ils préfèrent être jugés aujourd'hui car ils ont un avion pour rentrer chez eux le 13", fait savoir la traductrice. "C'est intéressant ça", ironise le président.
Les deux individus ont été pris en flagrant délit. C'était mercredi dernier, le jour d'ouverture des soldes. La police repère Yevgeny et Vladimir dans le quartier chic de La Madeleine, à Paris. Ils écument les boutiques de luxe, elle les suit à la trace. "Ils vont être vus glisser une paire de gants bordeaux dans leur sac, dérober de la lingerie masculine", raconte, lunettes sur le nez, le président qui ponctue chaque récit de vol par une marque de renom. "Et puis, continue le magistrat, la police va se poster près d'une cabine d'essayage où les deux individus sont rentrés. Et là, elle va entendre un bruit étrange, métallique." Yevgeny et Vladimir sont appréhendés. Dans leur escarcelle : des écharpes, des bijoux, des pulls en cachemire, des chemises, des caleçons mais aussi, un burin et une pince coupante.
De la bonne qualité des burins français
"Dans la boutique, les bijoux dérobés étaient retenus au présentoir par des fils. Nous ne pouvons que supposer que la pince coupante aura servie à les couper..., indique le président. Mais ce n'est qu'une supposition de la cour. Pour les ongles, ça serait quand même gros..." Yevgeny et Vladimir tendent l'oreille vers l'interprète. "Vous avez été pris la main dans le sac", leur dit-elle relayant les mots du magistrat. Les deux Russes nient les faits et maintiennent avoir acheté tous les articles cités. Yevgeny précise qu'ils n'avaient pas besoin de tickets de caisse parce que ces achats étaient des cadeaux. "La police les a vus, insiste le président auprès de la traductrice. Dites-leur bien ça en russe".
"Mais à qui est la pince coupante ?", s'interroge encore le magistrat. C'est celle de Vladimir. "Oui, il l'a toujours sur lui, car il a des problèmes d'ongles", répète en français et sans rire la traductrice. La salle se pince les lèvres. "Et le burin aussi c'est pour se curer les ongles ?", la relance le président. "Non, le burin, ils l'ont acheté ici car les burins français sont de bonne qualité. En Russie, ils sont moins bien..."
"Yevgeny et Vladimir vont avoir besoin d'une défense d'aussi bonne qualité que le burin français, intervient le procureur. Ils peuvent dire ce qu'ils veulent, rien n'est vérifiable. Tout laisse à penser ici que les deux prévenus se sont rendus en France exprès pour les soldes. On ne peut faire que des déductions car ils n'ont rien dit durant leur garde à vue..." "Mes clients ne veulent qu'une chose rentrer en Russie", martèle leur avocat essayant "d'être aussi fin qu'un burin". Las. Yevgeny et Vladimir ne rentreront pas tout de suite à Kaliningrad. Les deux amis écopent de six mois de prison pour les vols, de deux mois pour avoir refusé de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques lors de leur garde à vue. La peine est assortie d'une interdiction de territoire durant trois ans. Yevgeny et Vladimir ont été placés sous mandat de dépot.